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Les Quatre cavaliers de l'apocalypse streaming 1440

    • Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse
    • (The Four Horsemen of the Apocalypse)
    • États-Unis
    • -
    • 1962
  • RĂ©alisation. Vincente Minnelli
  • ScĂ©nario. Robert Ardrey, John Gay
  • d'après. le roman Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse
  • de. Vicente Blasco Ibáñez
  • Image. Milton R. Krasner
  • DĂ©cors. Keogh Gleason, Henry Grace
  • Costumes. RenĂ© Hubert, Walter Plunkett
  • Son. Franklin Milton
  • Montage. Adrienne Fazan, Ben Lewis
  • Musique. AndrĂ© Previn
  • Producteur(s). Julian Blaunstein
  • InterprĂ©tation. Glenn Ford (Julio Desnoyers), Ingrid Thulin (Marguerite Laurier), Charles Boyer (le père de Julio), Yvette Mimieux (Gigi), Lee J. Cobb (Madariaga), Paul Henreid (Étienne Laurier), Karlheinz Böhm (Heinrich von Hartrott), Paul Lukas (Karl von Hartrott).
  • Date de sortie. 6 janvier 2010
  • DurĂ©e. 2h33

La Nuit transfigurée, par Mathieu Macheret

Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse

The Four Horsemen of the Apocalypse

De mémoire de cinéphile, peu de films s’ouvrent sur une scène aussi profondément dramatique que le premier quart d’heure des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Scène tonnante, scène furieuse, de celles qui imposent le silence et laissent augurer du pire. Minnelli y déploie sa palette de grand cinéaste oscarisé avec une incise mordante, un geste aussi précis que solennel. le premier coup de hache qui conduira au démembrement d’un arbre généalogique. Mais avant de décrire ce démembrement, il doit le présenter, enraciné dans l’Argentine de 1938.

À sa base trône le patriarche Madariaga, riche propriétaire qui, comme tous les patriarches, fricote avec le mythe. torrent de vie aux cheveux d’un blanc éclatant, danseur invétéré, verdeur inépuisable, quelque chose de trop puissant coulant dans ses veines. Il retrouve, lors d’une réunion de famille, les deux branches issues des mariages de ses filles, l’une avec le Français Desnoyers, l’autre avec l’Allemand von Hartott. Or, qu’est-il de plus éloigné, sur un arbre, que l’extrémité de deux branches. Les deux petits-fils de Madariaga ne se haïssent pas, mais un fond rival les oppose. Julio (Glenn Ford) est un vain noceur, un homme à femmes perdu dans sa superficialité ; Heinrich (Karlheinz Böhm) a lié sa vie au parti nazi et en est devenu un jeune dignitaire. L’annonce, à table, de ce terrible engagement frappe à ce point le patriarche qu’il en meurt sur le champ, alors qu’une tempête à l’extérieur déchaîne les éléments. La racine de l’arbre abattue – ce chaînon vers les âges primitifs d’une lignée – les deux branches demeurent seules, face à face, au moment historique où l’ouragan nazi s’apprête à déferler sur l’Europe. Bienvenue quelque part entre Shakespeare et Wagner. MGM, 1961.

Il est fort possible que Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse ne soit, au départ, que le récit d’une prise de conscience. celle de Julio qui, de playboy en carton, devient un résistant en or, ayant, de par sa position, ses entrées auprès de l’État-major du parti nazi. Mais le film recèle une hypothèse autrement plus excitante. À l’issue de ce fatal épisode argentin, Julio, revenu en Europe auprès de ses parents et de sa sœur, subirait, dans un Paris au bord de l’Occupation, l’expérience de trois rapports au monde, tous fondamentaux. Le premier d’entre eux n’est autre que le rapport amoureux. Julio s’éprend de la femme d’un journaliste (Ingrid Thulin) et la séduit au moment où ce dernier est requis sur le front belge. C’est le rapport qui implique le plus grand enfermement. L’inconséquence de Julio s’y trouve pleinement satisfaite. Ici, l’être aimé et le sentiment individuel effacent toute conscience de la communauté et des remous planétaires. Au moment où l’histoire frappe à toutes les portes, le rapport amoureux est le siège du plus grand égoïsme. Pour Julio, la femme aimée devient vite le refuge le plus sûr, le centre de tous les renoncements, l’oubli absolu d’une histoire en marche.

Sa seconde expérience du monde, déjà plus vaste, est le rapport familial. Elle s’ouvre sur une population plus nombreuse et implique une forme de gouvernement minimal, de destin commun. Lorsque les bottes allemandes viennent à frôler la tombe du soldat inconnu et défilent sur les Champs-Élysées devant un Paris humilié, la famille Desnoyers se retrouve dans une drôle de position. à la fois envahie en ses terres et privilégiée par sa branche allemande, les von Hartrott, qui règne désormais en maîtresse sur la capitale. La famille, à la fois prise dans une opposition de principe et dévolue à la conservation d’une mémoire commune, devient vite le lieu de toutes les compromissions. Son maintien est mis en danger par l’infiltration du politique et ses rapports de domination. Les Desnoyers se voient dès lors contraints de quémander aux von Hartrott les moyens de conserver leur branche soudée. Encore une fois, cette utopie du foyer, abri où se protéger du monde et de ses agressions, est démantelée par l’histoire en marche. Julio, qui cherchait jusqu’alors à se recroqueviller dans des bulles de bonheur autonomes, hermétiques, isolées, est catapulté vers une troisième forme de rapport au monde, qu’il découvrira comme la seule viable. ce rapport à l’histoire qu’on appelle « l’engagement ».

Pour Ă©voquer ce dernier rapport, Ă©pargnons-nous les termes d’abnĂ©gation, de sacrifice, par trop littĂ©raires, alors qu’un court passage du film en traduit parfaitement la portĂ©e cinĂ©matographique. Alors qu’il prend conscience qu’il ne peut plus vivre comme avant, ses « bulles » familiale et amoureuse ayant Ă©clatĂ©, Julio se rend Ă  une dernière mondanitĂ©, l’une de ces fĂŞtes fiĂ©vreuses et bondĂ©es que les hauts-gradĂ©s nazis se donnent dans les caves du Paris Ă©lĂ©gant. Ă€ l’entrĂ©e de la salle, devant un parterre de danseurs en contrebas, Julio observe cette image d’un bonheur un peu trop hystĂ©rique, surchargĂ©, tandis qu’apparaissent en surimpression les images d’archives d’une guerre qui se joue ailleurs, Ă  l’extĂ©rieur, sur tous les fronts d’une Europe en sang. Les bombardiers dĂ©collent, les ogives sont lâchĂ©es, la terre soulevĂ©e par les explosions, les fusils crachant leurs rafales. Pour Minnelli, le bonheur est cette image factice qu’on cache dans un coin de ses perceptions, qu’on peut choisir comme refuge mais sans jamais la sĂ©parer de son revers direct. le cours de l’histoire, les luttes des hommes. En dehors de celui-ci, le bonheur n’est qu’une image mobile du temps perdu, une « occupation » Ă  proprement parler. Le mĂŞme sentiment de perte irrĂ©mĂ©diable gâchait dĂ©jĂ  la fĂŞte des tous premiers plans, lorsque Madariaga dansait avec son petit-fils Julio dans une fĂŞte argentine, sur des rythmes endiablĂ©s. Un ami ne lui rappelait-il pas, en pleines rĂ©jouissances, de dĂ©testables nouvelles d’une Allemagne pour le dirigeant de laquelle Heinrich s’était dĂ©couvert de la ferveur. La relation amoureuse entre Julio et Mme Laurier ne s’épanouit-elle pas aux dĂ©pends de son mari, soldat puis rĂ©sistant dont on suit la progressive dĂ©gradation physique au fur et Ă  mesure que sa femme lui Ă©chappe. Toute fiction de bonheur consommĂ©e correspond Ă  une dĂ©gradation vĂ©cue sur un autre font. Elle se mesure en perte, elle Ă©quivaut Ă  un tas de cadavres ; le bonheur a une odeur pestilentielle. C’est cette conscience-lĂ  qui frappe de plein fouet Julio et le pousse vers la sortie.

L’histoire de Julio est donc l’histoire proustienne d’un « Temps RetrouvĂ© », d’un temps reconquis sur le gouffre des mondanitĂ©s, de la perception d’un rĂ©el qui fait signe, perçant le cĹ“ur d’une bulle qui l’exclut. De ces trois cercles – concentriques – d’expĂ©riences, vĂ©cues par Julio, Minnelli donne une mise en scène Ă©tourdissante, magistrale, bâtie sur un foyer d’action sans cesse assailli par des manifestations pĂ©riphĂ©riques (les signes de la lutte), rappelant qu’une intĂ©rioritĂ© (le bonheur) ne peut se vivre sans l’expĂ©rience de ses limites. Glenn Ford, cet acteur Ă©tonnant, donne Ă  Julio les traits d’un playboy trop singulier pour s’avĂ©rer complètement vide, au front trop haut pour ne pas cacher quelque angoisse existentielle, quelque mĂ©lancolie, aux sourcils trop froncĂ©s pour ne pas douter de sa triste lĂ©gitimitĂ©, Ă  la lèvre trop incurvĂ©e pour ne pas retenir plus de mots qu’il ne saurait en prononcer. Cet ĂŞtre inachevĂ© ne trouvera la voie du bonheur qu’au prix d’un anĂ©antissement, une petite Apocalypse individuelle et familiale, profitant d’un mouvement militaire stratĂ©gique et dĂ©terminant le destin d’une poignĂ©e de nations.

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