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Les armĂ©es secrètes de l’OTAN (III)

Gladio. Pourquoi l’OTAN, la CIA et le MI6 continuent de nier

par Daniele Ganser

Alors que l’existence du gouvernement de l’ombre instituĂ© par les États-Unis et le Royaume-Uni dans l’ensemble des États alliĂ©s est attestĂ©e par des enquĂŞtes judiciaires et parlementaires dans les annĂ©es 80-90, l’OTAN, la CIA et le MI6 continuent Ă  nier. C’est que Washington et Londres n’y voient pas un Ă©pisode historique, mais un dispositif actuel (comme l’a montrĂ© l’affaire des enlèvements en Europe et des vols secrets durant l’ère Bush). Les armĂ©es secrètes de l’OTAN sont toujours couvertes par le secret-DĂ©fense, parce qu’elles sont toujours actives.

RĂ©seau Voltaire | 3 novembre 2009

Avant mĂŞme sa prise de fonction (le 2 juillet 2009) comme nouveau commandeur suprĂŞme de l’OTAN (SACEUR), l’amiral James G. Stavridis s’est discrètement rendu au SHAPE pour rencontrer les chefs des rĂ©seaux stay-behind.

Au moment des découvertes sur le réseau Gladio en 1990, l’OTAN, la plus grande alliance militaire du monde, regroupait 16 nations. l’Allemagne, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Turquie et les États-Unis, ces derniers assumant un rôle de commandement. L’Alliance réagit confusément aux révélations du Premier ministre italien Andreotti et craignit pour son image lorsque les armées stay-behind furent associées à des attentats, des actes de torture, des coups d’États et d’autres opérations terroristes perpétrés dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest.

Le lundi 5 novembre 1990, après un long silence de près d’un mois, l’OTAN nia catĂ©goriquement les allĂ©gations d’Andreotti concernant son implication dans l’OpĂ©ration Gladio et ses liens avec les armĂ©es secrètes. Le principal porte-parole de l’Organisation, Jean Marcotta, affirma depuis le quartier gĂ©nĂ©ral du SHAPE, Ă  Mons, en Belgique, que. « L’OTAN n’a jamais envisagĂ© de recourir Ă  la guĂ©rilla ou Ă  des opĂ©rations clandestines ; elle s’est toujours occupĂ©e de questions exclusivement militaires et de la dĂ©fense des frontières des pays AlliĂ©s [1 ]. » Puis, le mardi 6 novembre, un autre porte-parole expliqua que le dĂ©menti de la veille Ă©tait faux. Il ne fournit aux journalistes qu’un bref communiquĂ© prĂ©cisant que l’OTAN ne commentait jamais les questions couvertes par le secret militaire et que Marcotta aurait dĂ» observer le silence [2 ]. La presse internationale critiqua amèrement ces cafouillages dans la stratĂ©gie de relations publiques de l’alliance militaire. « Pendant que de vĂ©ritables sĂ©ismes frappent le continent entier, un porte-parole de l’OTAN apporte un dĂ©menti. on ignore tout de Gladio et des rĂ©seaux stay-behind. Et voici qu’un communiquĂ© laconique vient ensuite dĂ©mentir le dĂ©menti "incorrect" et rien de plus [3 ] ».

Tandis que la crĂ©dibilitĂ© de l’OTAN s’ébranlait, les journaux titraient « Une unitĂ© clandestine de l’OTAN "soupçonnĂ©e de liens avec le terrorisme" » [4 ]. « Un rĂ©seau secret de l’OTAN accusĂ© de subversion. La Commission a dĂ©couvert que Gladio, le bras armĂ© clandestin de l’OTAN en Italie, Ă©tait devenu un repaire de fascistes combattant le communisme au moyen d’attentats terroristes visant Ă  justifier un durcissement des lois. » [5 ] « La bombe qui a explosĂ© Ă  Bologne provenait d’une unitĂ© de l’OTAN » [6 ]. Un diplomate de l’OTAN, qui insista pour conserver l’anonymat, justifia devant des journalistes. « Puisqu’il s’agit d’une organisation secrète, je ne m’attends pas Ă  ce que les rĂ©ponses abondent, mĂŞme si la Guerre froide est terminĂ©e. S’il y a eu des liens avec des organisations terroristes, ce genre d’informations doit ĂŞtre enterrĂ© très profondĂ©ment. Si ce n’est pas le cas, qu’y a-t-il de mal Ă  prĂ©parer le terrain pour la rĂ©sistance pour le cas oĂą les SoviĂ©tiques attaqueraient ? » [7 ]

Selon la presse espagnole, immĂ©diatement après le fiasco de l’opĂ©ration de communication des 5 et 6 novembre, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’OTAN Manfred Wörner convoqua les ambassadeurs de l’Alliance Atlantique pour une rĂ©union d’information Ă  huis clos sur Gladio, le 7 novembre. Le « Supreme Headquarters Allied Powers Europe ou SHAPE, l’organe de commandement de l’appareil militaire de l’OTAN, coordonnait les actions de Gladio, c’est ce qu’a rĂ©vĂ©lĂ© le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Manfred Wörner pendant un entretien avec les ambassadeurs des 16 nations alliĂ©es de l’OTAN », put-on lire dans la presse espagnole. « Wörner aurait demandĂ© du temps pour mener une enquĂŞte afin de dĂ©couvrir les raisons du dĂ©menti formel » rendu public la veille par l’OTAN. « C’est ce qu’il aurait annoncĂ© aux ambassadeurs du Conseil Atlantique rĂ©unis le 7 novembre, si l’on en croit certaines sources. » L’officier le plus haut placĂ© de l’OTAN en Europe, le gĂ©nĂ©ral Ă©tats-unien John Galvin, avait confirmĂ© que les allĂ©gations de la presse Ă©taient en grande partie fondĂ©es, mais que le secret devait ĂŞtre gardĂ©. « Au cours de cette rĂ©union Ă  huis clos, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’OTAN a prĂ©cisĂ© que les gradĂ©s interrogĂ©s, (il faisait rĂ©fĂ©rence au gĂ©nĂ©ral John Galvin, commandant en chef des forces alliĂ©es en Europe), avaient indiquĂ© que le SHARP coordonnait les opĂ©rations menĂ©es par Gladio. DorĂ©navant, la politique de l’OTAN sera de refuser tout commentaire sur les secrets officiels. » [8 ]

Selon des sources qui ont souhaité conserver l’anonymat, le Bureau de Sécurité de l’OTAN aurait été directement impliqué dans l’Opération Gladio [9 ]. Hébergé au quartier général de l’OTAN à Bruxelles, le mystérieux Bureau de Sécurité fait partie intégrante de l’OTAN depuis la création de l’Alliance en 1949. Sa mission consiste à coordonner, superviser et appliquer les politiques de sécurité de l’OTAN. Le directeur de la Sécurité est le principal conseiller du secrétaire général pour les questions de sécurité ; il dirige le Service de Sécurité du quartier général et est responsable de la coordination générale de la sécurité au sein de l’OTAN. Mais surtout, il est le président du Comité de Sécurité de l’Alliance qui réunit régulièrement les chefs des Services de Sécurité des pays membres pour discuter des questions d’espionnage, de terrorisme, de subversion et d’autres menaces, parmi lesquelles le communisme en Europe de l’Ouest, qui pourraient représenter un danger pour l’OTAN.

En Allemagne, le chercheur Erich Schmidt Eenboom rapporta que les patrons des services secrets de plusieurs pays d’Europe occidentale, et notamment de l’Espagne, de la France, de la Belgique, de l’Italie, de la Norvège, du Luxembourg et du Royaume-Uni, s’étaient rĂ©unis plusieurs fois Ă  la fin de l’annĂ©e 1990, et ce, afin d’élaborer une stratĂ©gie de dĂ©sinformation pour contrer les nombreuses rĂ©vĂ©lations sur Gladio [10 ]. Ces rĂ©unions se dĂ©roulèrent vraisemblablement au très secret Bureau de SĂ©curitĂ©. « Le fait que les structures clandestines de Gladio aient Ă©tĂ© coordonnĂ©es par un comitĂ© de sĂ©curitĂ© international composĂ© uniquement de reprĂ©sentants des services secrets », remarque le quotidien portugais Expresso. « pose un autre problème. celui de la souverainetĂ© nationale de chacun des États ». Durant la Guerre froide, certains services de renseignement agissaient hors de tout cadre dĂ©mocratique. « Il semble que plusieurs gouvernements europĂ©ens aient perdu le contrĂ´le de leurs services secrets » tandis que l’OTAN entretenait, elle, des liens très Ă©troits avec les services secrets militaires de chacun des États membres. « Il paraĂ®t Ă©vident que l’OTAN applique un principe de confiance restreinte. Selon cette doctrine, certains gouvernements ne luttant pas assez activement contre le communisme, il est donc inutile de les informer des activitĂ©s de l’armĂ©e secrète de l’OTAN. » [11 ].

Sous le titre « Manfred Wörner raconte le Gladio », la presse portugaise publia des dĂ©tails supplĂ©mentaires sur la rĂ©union du 7 novembre. « Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’OTAN, l’Allemand Manfred Wörner a expliquĂ© aux ambassadeurs des 16 pays alliĂ©s de l’OTAN la fonction du rĂ©seau secret - qui fut crĂ©Ă© dans les annĂ©es cinquante afin d’organiser la rĂ©sistance dans l’éventualitĂ© d’une invasion soviĂ©tique. » Derrière des portes closes, « Wörner a confirmĂ© que le commandement militaire des forces alliĂ©es, le Supreme Headquarters Allied Powers Europe (SHAPE), coordonne les activitĂ©s du “RĂ©seau Gladio”, mis sur pied par les services secrets des diffĂ©rents pays de l’OTAN, par l’intermĂ©diaire d’un comitĂ© crĂ©Ă© en 1952 et actuellement prĂ©sidĂ© par le gĂ©nĂ©ral Raymond Van Calster, chef des services secrets militaires belges », on apprit plus tard qu’il s’agissait de l’ACC. D’après le journal, « la structure a Ă©tĂ© bâtie en Italie avant 1947, puis des rĂ©seaux similaires ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s en France, en Belgique, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Luxembourg, au Danemark, en Norvège et en Grèce ». « Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral a Ă©galement reconnu que le SHAPE avait fourni de "fausses informations" en niant l’existence d’un tel rĂ©seau secret, mais il a refusĂ© de s’expliquer sur les nombreuses contradictions dans lesquelles les diffĂ©rents gouvernements s’étaient engluĂ©s en confirmant ou niant la rĂ©alitĂ© des rĂ©seaux Gladio dans leurs pays respectifs ». [12 ]

Au milieu de la tourmente, la presse tenta Ă  plusieurs reprises d’obtenir une explication ou, ne serait-ce qu’un commentaire, de la plus haute autoritĂ© civile de l’OTAN, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’OTAN Manfred Wörner. Mais, conformĂ©ment Ă  la politique de l’Alliance qui consistait Ă  ne pas se prononcer sur les secrets militaires, Wörner rejeta toutes les demandes d’interviews [13 ]. Le terme « secrets militaires » focalisa l’attention des journalistes qui se mirent en quĂŞte d’anciens responsables de l’OTAN Ă  la retraite susceptibles de s’exprimer plus librement sur toute l’affaire. Joseph Luns, un ancien diplomate de 79 ans, qui avait occupĂ© les fonctions de secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’OTAN de 1971 Ă  1984 accorda un entretien tĂ©lĂ©phonique Ă  des reporters depuis son appartement de Bruxelles. Il prĂ©tendit n’avoir jamais Ă©tĂ© informĂ© de l’existence du rĂ©seau secret jusqu’à ce qu’il l’ait rĂ©cemment lue dans la presse. « Je n’en ai jamais entendu parler et pourtant j’ai exercĂ© quelques responsabilitĂ©s au sein de l’OTAN ». Luns admit toutefois avoir Ă©tĂ© briefĂ© « ponctuellement » Ă  l’occasion d’opĂ©rations spĂ©ciales et estima « peu probable mais pas impossible » que Gladio ait pu exister Ă  son insu [14 ].

« Le seul organisme international qui ait jamais fonctionnĂ©, c’est l’OTAN, tout simplement parce qu’il s’agit d’une alliance militaire et que nous Ă©tions aux commandes », rĂ©pondit un jour le prĂ©sident Ă©tats-unien Richard Nixon [15 ]. Il faisait remarquer Ă  juste titre que, bien que l’OTAN ait son siège europĂ©en en Belgique, son vĂ©ritable quartier gĂ©nĂ©ral se trouve au Pentagone, Ă  Washington. Depuis la crĂ©ation de l’Alliance Atlantique, le commandant en chef de la zone Europe, le SACEUR (Supreme Allied Commander Europe), exerçant ses fonctions depuis son quartier gĂ©nĂ©ral, le SHAPE, Ă©tabli Ă  Casteau, en Belgique, avait toujours Ă©tĂ© un gĂ©nĂ©ral Ă©tats-unien. Les EuropĂ©ens pouvaient, quant Ă  eux, nommer le plus haut responsable civil, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral. Mais depuis la nomination du gĂ©nĂ©ral Dwight Eisenhower comme premier SACEUR, la plus haute fonction militaire en Europe fut systĂ©matiquement occupĂ©e par des officiers Ă©tats-uniens [16 ]

Officier de la CIA Ă  la retraite, Thomas Polgar confirma, après la dĂ©couverte des armĂ©es secrètes d’Europe de l’Ouest, que celles-ci Ă©taient coordonnĂ©es par « une sorte de groupe de planification de guerre non conventionnelle » liĂ© Ă  l’OTAN [17 ]. Ses propos furent confirmĂ©s par la presse allemande qui souligna que, durant toute la pĂ©riode de la Guerre froide, ce dĂ©partement secret de l’OTAN Ă©tait demeurĂ© sous domination Ă©tats-unienne. « Les missions des armĂ©es secrètes sont coordonnĂ©es par la “Section des Forces SpĂ©ciales”, situĂ©e dans une aile du quartier gĂ©nĂ©ral de l’OTAN Ă  Casteau placĂ©e sous haute surveillance », relata un journal allemand. « Une porte grise en acier qui s’ouvre comme un coffre-fort de banque et protĂ©gĂ©e par une combinaison chiffrĂ©e, dĂ©fend l’accès Ă  toute personne non autorisĂ©e. Les officiers des autres dĂ©partements, qui sont invitĂ©s Ă  y entrer, doivent dès l’entrĂ©e se prĂ©senter Ă  un guichet sombre oĂą ils sont contrĂ´lĂ©s. La Section des Forces SpĂ©ciales est dirigĂ©e par des officiers britanniques ou Ă©tats-uniens exclusivement et la plupart des documents qui y circulent portent l’inscription “American eyes only” (Ă€ l’intention du personnel US uniquement) » [18 ].

Pour contrer l’influence des partis communistes dans certains pays d’Europe de l’Ouest, l’OTAN s’était livrĂ©e, dès sa crĂ©ation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Ă  une guerre secrète non conventionnelle. D’après les dĂ©couvertes de l’enquĂŞte parlementaire belge sur Gladio, cette lutte aurait mĂŞme Ă©tĂ© engagĂ©e avant la fondation de l’Alliance, et coordonnĂ©e dès 1948 par le "Clandestine Committee of the Western Union" (CCWU), le ComitĂ© Clandestin de l’Union Occidentale. Selon la presse, toutes les « nations [participant Ă  Gladio] Ă©taient membres du CCWU et assistaient rĂ©gulièrement Ă  des rĂ©unions par l’intermĂ©diaire d’un reprĂ©sentant de leurs services secrets. Ceux-ci Ă©taient gĂ©nĂ©ralement en contact direct avec les structures stay-behind » [19 ].

Quand, en 1949, fut signé le Traité de l’Atlantique Nord, le CCWU fut secrètement intégré au nouvel appareil militaire international et opéra à partir de 1951 sous la nouvelle appellation CPC. À cette époque, le quartier général européen de l’OTAN était situé en France et le CPC avait son siège à Paris. Comme le CCWU avant lui, le Comité assurait la planification, la préparation et la direction des opérations de guerre non conventionnelle menées par les armées stay-behind et les Forces Spéciales. Seuls les officiers disposant des autorisations de niveau supérieur étaient autorisés à pénétrer au siège du CPC où, sous la surveillance des experts de la CIA et du MI6, les chefs des services secrets des États d’Europe occidentale se réunissaient plusieurs fois dans l’année afin de coordonner les opérations de guerre clandestine menées dans tout l’Ouest du continent.

Lorsqu’en 1966 le prĂ©sident de la RĂ©publique Française Charles de Gaulle chassa l’OTAN de France, le quartier gĂ©nĂ©ral europĂ©en de l’Alliance militaire dut, Ă  la colère du prĂ©sident des États-Unis Lyndon Johnson, dĂ©mĂ©nager de Paris Ă  Bruxelles. Dans le plus grand secret, le CPC s’installa lui aussi en Belgique, comme le rĂ©vĂ©la l’enquĂŞte sur le Gladio belge [20 ]. L’expulsion historique de l’OTAN du territoire français offrit alors un premier vĂ©ritable aperçu des noirs secrets de l’Alliance militaire. Pour le spĂ©cialiste des opĂ©rations secrètes Philip Willan. « L’existence de protocoles secrets de l’OTAN impliquant les services secrets des pays signataires et visant Ă  Ă©viter l’accession au pouvoir par les communistes fut divulguĂ©e pour la première fois en 1966, quand le prĂ©sident de Gaulle dĂ©cida de se retirer du commandement conjoint de l’OTAN et dĂ©nonça ces protocoles comme une atteinte Ă  la souverainetĂ© nationale » [21 ].

Si les documents originaux des protocoles anticommunistes secrets de l’OTAN demeurent confidentiels, les spĂ©culations sur leur contenu ne cessèrent de se multiplier suite Ă  la dĂ©couverte des armĂ©es secrètes stay-behind. Dans un article consacrĂ© Ă  Gladio, le journaliste amĂ©ricain Arthur Rowse Ă©crivit qu’une « clause secrète du traitĂ© initial de l’OTAN de 1949 stipulait que tout pays candidat Ă  l’adhĂ©sion devait avoir Ă©tabli au prĂ©alable une autoritĂ© de SĂ©curitĂ© nationale chargĂ©e d’encadrer la lutte contre le communisme par des groupes clandestins de citoyens » [22 ]. Un spĂ©cialiste italien des services secrets et des opĂ©rations clandestines, Giuseppe de Lutiis, dĂ©couvrit qu’au moment d’intĂ©grer l’OTAN en 1949, l’Italie signa, outre le Pacte Atlantique, une sĂ©rie de protocoles secrets prĂ©voyant la crĂ©ation d’une organisation non officielle « chargĂ©e de garantir l’alignement de la politique intĂ©rieure italienne sur celle du bloc de l’Ouest par tous les moyens nĂ©cessaires, mĂŞme si la population devait manifester une inclination divergente » [23 ]. L’historien italien spĂ©cialiste du Gladio Mario Coglitore a Ă©galement confirmĂ© l’existence de ces protocoles secrets de l’OTAN [24 ]. Suite aux rĂ©vĂ©lations de 1990, un ancien officier du renseignement de l’OTAN, qui veilla Ă  conserver l’anonymat, alla jusqu’à affirmer que ces documents protĂ©geaient explicitement les membres de l’extrĂŞme droite jugĂ©s utiles dans la lutte contre les communistes. Le prĂ©sident des États-Unis Truman et le chancelier allemand Adenauer auraient « signĂ© un protocole secret lors de l’adhĂ©sion de la RFA Ă  l’OTAN en 1955, dans lequel il Ă©tait convenu que les autoritĂ©s de l’Allemagne de l’Ouest s’abstiendraient d’entamer des poursuites Ă  l’encontre des extrĂ©mistes de droite reconnus » [25 ].

Le gĂ©nĂ©ral italien Paolo Inzerilli, qui commanda le Gladio dans son pays de 1974 Ă  1986, souligna que les « AmĂ©ricains omniprĂ©sents » contrĂ´laient le CPC secret qui Ă©tait en charge de la coordination de la guerre clandestine. Selon lui, le ComitĂ© avait Ă©tĂ© fondĂ© « sur ordre du commandant en chef de l’OTAN en Europe. Il constituait l’intermĂ©diaire entre le SHAPE, le quartier gĂ©nĂ©ral des puissances alliĂ©es d’Europe, et les services secrets des États membres pour les question de guerre non conventionnelle » [26 ]. Les États-Unis contrĂ´laient le CPC avec leurs vassaux britanniques et français et constituaient avec eux une "Commission ExĂ©cutive" au sein du ComitĂ©. « Les rĂ©unions se succĂ©daient au rythme d’une ou deux par an au quartier gĂ©nĂ©ral du CPC, Ă  Bruxelles, et les questions Ă  l’ordre du jour Ă©taient dĂ©battues entre la “Commission ExĂ©cutive” et les responsables militaires », tĂ©moigna Inzirelli [27 ].

« La coordination des actions de notre rĂ©seau stay-behind avec celles des structures clandestines analogues en Europe Ă©tait assurĂ©e par le CPC, le Coordination and Planning Committee [ComitĂ© de Planification et de Coordination] du SHAPE, le quartier gĂ©nĂ©ral des puissances alliĂ©es d’Europe », dĂ©crivit le gĂ©nĂ©ral italien Gerardo Serravalle. PrĂ©dĂ©cesseur du gĂ©nĂ©ral Inzirelli, il avait commandĂ© le Gladio en Italie entre 1971 et 1974 ; il raconta que « pendant les annĂ©es soixante-dix, les membres du CPC Ă©taient les officiers responsables des structures secrètes de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, de la Belgique, du Luxembourg, des Pays-Bas et de l’Italie. Ces reprĂ©sentants des rĂ©seaux clandestins se rĂ©unissaient chaque annĂ©e dans l’une des capitales europĂ©ennes » [28 ]. Des hauts responsables de la CIA assistaient Ă  chacune de ces rĂ©unions. « Des reprĂ©sentants de la CIA Ă©taient toujours prĂ©sents aux rĂ©unions des armĂ©es stay-behind », se souvient Serravalle. « Ils appartenaient Ă  l’antenne de l’Agence de la capitale oĂą se dĂ©roulait la rĂ©union et ne participaient pas aux votes » [[Ibid. p.79. ]]. « La “Directive SHAPE” faisait office de rĂ©fĂ©rence officielle, si ce n’est de doctrine pour les rĂ©seaux stay-behind alliĂ©s », explique Serravalle dans son livre consacrĂ© Ă  Gladio. Il prĂ©cise Ă©galement que les enregistrements du CPC, qu’il a pu consulter mais qui demeurent confidentiels, « portent [surtout] sur l’entraĂ®nement des Gladiateurs en Europe, sur comment les rĂ©veiller depuis le quartier gĂ©nĂ©ral secret en cas d’occupation de l’ensemble du territoire national et sur d’autres questions techniques telles que, pour citer la plus importante, l’unification des diffĂ©rents systèmes de communication entre les bases stay-behind » [29 ].

Parallèlement au CPC, un second poste de commandement secret fonctionnant comme un quartier gĂ©nĂ©ral stay-behind fut crĂ©Ă© par l’OTAN au dĂ©but des annĂ©es cinquante sous le nom d’ACC. Comme le CPC, l’ACC Ă©tait en lien direct avec le SACEUR, lui-mĂŞme sous contrĂ´le Ă©tats-unien. D’après les conclusions de l’enquĂŞte belge sur Gladio, l’ACC aurait Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 1957 et chargĂ© de « la coordination des rĂ©seaux “stay-behind” en Belgique, au Danemark, en France, en Allemagne, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Norvège, au Royaume-Uni et aux USA ». Selon le rapport d’enquĂŞte belge, en temps de paix, les fonctions de l’ACC « comprenaient l’élaboration de directives Ă  l’intention du rĂ©seau, le dĂ©veloppement de ses capacitĂ©s secrètes et l’établissement de bases au Royaume-Uni et aux USA. Dans le cas d’une guerre, il Ă©tait censĂ© prĂ©parer des actions stay-behind conjointement avec le SHAPE ; de lĂ , les organisateurs devaient alors activer les bases clandestines et prĂ©parer les opĂ©rations » [30 ].

Le commandant du Gladio italien Inzirelli affirme que « les relations au sein de l’ACC Ă©taient totalement diffĂ©rentes » de celles existant au CPC. « L’atmosphère [y] Ă©tait clairement plus dĂ©contractĂ©e et amicale qu’au CPC. » L’ACC, fondĂ© sur « un ordre express du SACEUR au CPC » serait « devenue une ramification » de celui-ci [31 ]. Il semble que cet organisme ait servi surtout de forum oĂą l’on se partageait le savoir-faire Gladio entre patrons de services secrets. « L’ACC Ă©tait un comitĂ© essentiellement technique, un forum oĂą l’on pouvait Ă  loisir Ă©changer des informations et des expĂ©riences, Ă©voquer les moyens disponibles ou Ă  l’étude, partager ses connaissances sur les rĂ©seaux, etc. » Le gĂ©nĂ©ral Inzerilli se souvient. « C’était un Ă©change de bons procĂ©dĂ©s. Chacun savait que s’il lui manquait un expert en explosifs, en tĂ©lĂ©communication ou en rĂ©pression pour une opĂ©ration, il pouvait sans problème s’adresser Ă  un confrère Ă©tranger puisque les agents avaient reçu le mĂŞme entraĂ®nement et utilisaient le mĂŞme type de matĂ©riel » [32 ].

Les transmetteurs radio baptisĂ©s Harpoon figuraient notamment dans l’équipement de tous les membres de l’ACC. Ils avaient Ă©tĂ© conçus et fabriquĂ©s sur ordre du comitĂ© de direction de Gladio, au milieu des annĂ©es 1980, par la firme allemande AEG Telefunken pour un montant total de 130 millions de marks, en remplacement d’un ancien système de communication devenu obsolète. Le système Harpoon Ă©tait capable d’émettre et de recevoir des messages radio cryptĂ©s sur une distance de 6 000 km et permettaient donc les communications entre les rĂ©seaux stay-behind situĂ©s de part et d’autre de l’Atlantique. « Le seul Ă©quipement qu’ont en commun tous les membres de l’ACC est le fameux transmetteur radio Harpoon », rĂ©vĂ©la Van Ussel, un membre du Gladio belge qui s’en Ă©tait lui-mĂŞme servi au cours des annĂ©es 1980, alors qu’il Ă©tait un membre actif de l’organisation. Selon lui, « ce système Ă©tait rĂ©gulièrement utilisĂ© pour transmettre des messages entre les bases et les agents (en particulier lors des exercices de communication radio), mais il Ă©tait avant tout destinĂ© Ă  communiquer des renseignements en cas d’occupation » [33 ]. L’ACC disposait de bases dans tous les pays europĂ©ens dont une au Royaume-Uni, Ă  partir desquelles les unitĂ©s prĂ©sentes dans les territoires occupĂ©s pourraient ĂŞtre activĂ©es et commandĂ©es. Apparemment, l’ACC Ă©ditait Ă  l’intention des Gladiateurs des manuels indiquant les procĂ©dures communes Ă  suivre relatives aux actions clandestines, aux communications radio basĂ©es sur le cryptage et le saut de frĂ©quence mais aussi aux largages aĂ©riens et aux atterrissages.

L’ACC fonctionnait avec une prĂ©sidence tournante d’une pĂ©riode de deux ans, en 1990 celle-ci Ă©tait assumĂ©e par la Belgique. La rĂ©union de l’ACC des 23 et 24 novembre se dĂ©roula sous la prĂ©sidence du gĂ©nĂ©ral de division Raymond Van Calster, patron du SGR, les services secrets militaires belges. Le gĂ©nĂ©ral Inzerilli se souvint que « contrairement au CPC, l’ACC n’avait pas de direction Ă©tablie et permanente. La prĂ©sidence du ComitĂ© Ă©tait assumĂ©e pour deux ans et tournait entre tous les membres, en suivant l’ordre alphabĂ©tique », pour cette raison, l’ACC n’était pas soumis Ă  « la mĂŞme domination des grandes puissances ». Inzirelli affirma avoir prĂ©fĂ©rĂ© travailler Ă  l’ACC plutĂ´t qu’au CPC contrĂ´lĂ© par les États-uniens. « Je dois reconnaĂ®tre, pour l’avoir moi-mĂŞme prĂ©sidĂ© pendant deux ans, que l’ACC Ă©tait un comitĂ© vĂ©ritablement dĂ©mocratique » [34 ].

Dans le cadre de toute recherche approfondie sur l’OpĂ©ration Gladio et les rĂ©seaux stay-behind de l’OTAN, les transcriptions et enregistrements des rĂ©unions du CPC et de l’ACC s’imposent comme des sources essentielles. HĂ©las, alors que des annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis la dĂ©couverte du rĂ©seau top secret, les autoritĂ©s de l’OTAN se bornent, comme en 1990, Ă  opposer constamment aux sollicitations du public le silence ou le refus. Quand dans le cadre de nos propres recherches, nous contactâmes, Ă  l’étĂ© 2000, le service des archives de l’OTAN pour demander l’accès Ă  des informations supplĂ©mentaires sur Gladio et notamment sur le CPC et l’ACC, nous reçûmes la rĂ©ponse suivante. « Après vĂ©rification de nos archives, il n’existe aucune trace des comitĂ©s que vous Ă©voquez ». Lorsque nous insistâmes, le service des archives nous rĂ©pondit. « Je vous confirme une nouvelle fois que les comitĂ©s dont vous parlez n’ont jamais existĂ© au sein de l’OTAN. En outre, l’organisation que vous appelez “Gladio” n’a jamais fait partie de la structure militaire de l’OTAN » [35 ]. Sur quoi, nous appelâmes le Bureau de SĂ©curitĂ© de l’OTAN, mais ne pĂ»mes ni parler au directeur ni mĂŞme connaĂ®tre son identitĂ© classĂ©e “confidentielle”. Mme Isabelle Jacobs nous informa qu’il Ă©tait hautement improbable que nous obtenions jamais des rĂ©ponses Ă  nos questions sur un sujet sensible comme Gladio et nous conseilla de transmettre notre requĂŞte par Ă©crit via l’ambassade de notre pays d’origine.

C’est ainsi qu’après que la Mission Suisse d’Observation Ă  Bruxelles eut transmis Ă  l’OTAN nos questions relatives Ă  l’affaire Gladio, l’ambassadeur de Suisse Anton Thalmann nous rĂ©pondit qu’à son grand regret. « L’existence des comitĂ©s secrets de l’OTAN que vous mentionnez dans votre lettre n’est connue ni de moi, ni de mon personnel » [36 ]. « Quel est le lien entre l’OTAN et le Clandestine Planning Committee (CPC) et le Allied Clandestine Committee (ACC). Quel est le rĂ´le du CPC et de l’ACC. Quel est le lien entre le CPC, l’ACC et le Bureau de SĂ©curitĂ© de l’OTAN ? », telles Ă©taient nos questions. le 2 mai 2001, nous reçûmes une rĂ©ponse de Lee McClenny, directeur du service de presse et de communication de l’OTAN. Dans sa lettre, McClenny prĂ©tendait que « Ni le Allied Clandestine Committee, ni le Clandestine Planning Committee n’apparaissent dans toute la documentation de l’OTAN, confidentielle ou non, que j’ai consultĂ©e. » Il ajoutait. « En outre, je n’ai pu rencontrer personne travaillant ici qui ait eu entendu parler de l’un ou l’autre de ces deux comitĂ©s. J’ignore si de tels comitĂ©s ont un jour existĂ© Ă  l’OTAN, ce qui est sĂ»r c’est que ce n’est pas le cas aujourd’hui » [37 ]. Nous insistâmes une fois encore et demandâmes. « Pourquoi le porte-parole de l’OTAN Jean Marcotta a-t-il, le 5 novembre 1990, catĂ©goriquement niĂ© tout lien entre l’OTAN et Gladio pour voir ses propos dĂ©mentis deux jours plus tard par un second communiquĂ© ? », ce Ă  quoi Lee McClenny rĂ©torqua. « Je ne suis pas au courant de l’existence de liens entre l’OTAN et l’OpĂ©ration Gladio”. De plus, je ne trouve personne du nom de Jean Marcotta parmi la liste des porte-parole de l’OTAN » [38 ]. Le mystère restait entier.

La CIA, l’Agence de renseignement la plus puissante du monde, ne fut pas plus coopĂ©rative que la plus grande alliance militaire du monde quand il s’agit d’aborder la dĂ©licate question de Gladio et des armĂ©es stay-behind. FondĂ©e en 1947, deux ans avant la crĂ©ation de l’OTAN, la CIA eut pour principale tâche pendant la Guerre froide de combattre le communisme sur toute la planète en menant des opĂ©rations secrètes qui visaient Ă  Ă©tendre l’influence des États-Unis. « Par actions clandestines », le prĂ©sident Nixon indiqua un jour qu’il entendait « ces activitĂ©s qui, bien qu’elles soient destinĂ©es Ă  favoriser les programmes et politiques des États-Unis Ă  l’étranger, sont planifiĂ©es et exĂ©cutĂ©es de telle sorte que le public n’y voit pas la main du gouvernement amĂ©ricain » [39 ]. Historiens et analystes politiques ont depuis dĂ©crit en dĂ©tail comment la CIA et les Forces SpĂ©ciales Ă©tats-uniennes ont, au moyen de guerre secrètes et non dĂ©clarĂ©es, influencĂ© l’évolution politique et militaire de nombreux pays d’AmĂ©rique latine ; parmi les faits les plus marquants, on peut citer le renversement du prĂ©sident guatĂ©maltèque Jakobo Arbenz en 1954, le dĂ©barquement ratĂ© de la baie des Cochons en 1961, qui devait amener Ă  la destitution de Fidel Castro, l’assassinat d’Ernesto Che Guevara en Bolivie en 1967, le coup d’État contre le prĂ©sident chilien Salvador Allende et l’installation au pouvoir du dictateur Augusto Pinochet en 1973, ou encore le financement des Contras au Nicaragua, suite Ă  la rĂ©volution sandiniste de 1979. [40 ]

Outre ses agissements sur le continent sud-amĂ©ricain, la CIA est Ă©galement intervenue Ă  de nombreuses reprises en Asie et en Afrique, notamment pour renverser le gouvernement de Mossadegh en Iran en 1953, pour soutenir la politique d’Apartheid en Afrique du Sud, ce qui conduisit Ă  l’emprisonnement de Nelson Mandela, pour assister ben Laden et al-Qaida en Afghanistan, lors de l’invasion soviĂ©tique de 1979 et pour appuyer le leader Khmer Rouge Pol Pot depuis des bases conservĂ©es au Cambodge, après la dĂ©faite Ă©tats-unienne au Vietnam en 1975. D’un point de vue purement technique, le dĂ©partement des opĂ©rations secrètes de la CIA correspond Ă  la dĂ©finition d’une organisation terroriste donnĂ©e par le FBI. Le "terrorisme" est, selon le FBI, « l’usage illĂ©gal de la force ou de la violence contre des personnes ou des biens dans le but d’intimider ou de contraindre un gouvernement, une population civile, ou un segment de celle-ci, Ă  poursuivre certains objectifs politiques ou sociaux » [41 ].

Quand, au milieu des annĂ©es soixante-dix, le Congrès des États-Unis dĂ©couvrit que la CIA et le Pentagone avaient Ă©tendu leurs pouvoirs presque au-delĂ  de tout contrĂ´le et l’avaient outrepassĂ© en de nombreuses occasions, le sĂ©nateur Ă©tats-unien Frank Church fit avec assez de clairvoyance ce commentaire. « La multiplication des abus commis par nos services de renseignement rĂ©vèle un Ă©chec plus gĂ©nĂ©ral de nos institutions fondamentales ». Il prĂ©sidait alors l’une des trois commissions du Congrès qui furent chargĂ©es d’enquĂŞter sur les agissements des services secrets US, et dont les rapports, prĂ©sentĂ©s dans la seconde moitiĂ© des annĂ©es soixante-dix, font aujourd’hui encore autoritĂ© sur la question des guerres secrètes menĂ©es par Washington [42 ] Cependant, les investigations du Congrès n’eurent qu’un impact limitĂ© et les services secrets continuèrent, avec l’appui de la Maison-Blanche, Ă  abuser de leur pouvoir, comme le dĂ©montra le scandale de l’Irangate en 1986. Cela amena l’historienne Kathryn Olmsted Ă  se poser cette « question cruciale ». « Pourquoi, après avoir dĂ©butĂ© leur enquĂŞte, la plupart des journalistes et des membres du Congrès ont-ils renoncĂ© Ă  dĂ©fier le gouvernement secret ? » [43 ]

Alors qu’aux États-Unis se poursuit le dĂ©bat sur l’existence ou non d’un « gouvernement de l’ombre », le phĂ©nomène Gladio prouve que la CIA et le Pentagone ont opĂ©rĂ© Ă  plusieurs reprises hors de tout contrĂ´le dĂ©mocratique pendant la Guerre froide mais Ă©galement après l’effondrement du communisme et ce, sans jamais rendre compte de leurs agissements. Lors d’une interview accordĂ©e Ă  la tĂ©lĂ©vision italienne en dĂ©cembre 1990, l’amiral Stansfield Turner, directeur de la CIA de 1977 Ă  1981, refusa catĂ©goriquement d’évoquer l’affaire Gladio. Quand les journalistes, qui avaient Ă  l’esprit le grand nombre de victimes des nombreux attentats perpĂ©trĂ©s en Italie, se permirent d’insister, l’ex-patron de la CIA arracha furieusement son micro et hurla. « J’ai dit. pas de questions sur Gladio ! », mettant ainsi un terme Ă  l’entretien [44 ]

D’anciens officiers de la CIA moins gradĂ©s acceptèrent plus volontiers d’évoquer les secrets de la Guerre froide et les opĂ©rations illĂ©gales de l’Agence. Parmi eux, Thomas Polgar, qui prit sa retraite en 1981 après 30 ans de bons et loyaux services. En 1991, il avait tĂ©moignĂ© contre la nomination de Robert Gates Ă  la tĂŞte de la CIA, reprochant Ă  celui-ci d’avoir couvert le scandale de l’Irangate. InterrogĂ© sur les armĂ©es secrètes d’Europe, Polgar expliqua, en se rĂ©fĂ©rant implicitement au CPC et Ă  l’ACC, que les programmes stay-behind Ă©taient coordonnĂ©s par « une sorte de groupe de planification de guerre non conventionnelle liĂ© Ă  l’OTAN ». Dans leurs quartiers gĂ©nĂ©raux secrets, les chefs des armĂ©es secrètes nationales « se rencontraient tous les deux ou trois mois, Ă  chaque fois dans une capitale diffĂ©rente ». Polgar souligne que « chaque service national le faisait avec plus ou moins de zèle » tout en admettant que « dans les annĂ©es soixante-dix en Italie, certains sont allĂ©s mĂŞme plus loin que l’exigeait la charte de l’OTAN » [45 ]. Le journaliste Arthur Rowse, ancien collaborateur du Washington Post. tira, dans un essai consacrĂ© au sujet « Les leçons de Gladio ». « Aussi longtemps que le peuple Ă©tats-unien ignorera tout de ce sombre chapitre des relations Ă©trangères des USA, cela n’incitera pas vĂ©ritablement les agences responsables de cette situation Ă  changer de comportement. La fin de la Guerre froide n’a changĂ© que très peu de choses Ă  Washington. Les États-Unis (. ) attendent toujours avec impatience un vrai dĂ©bat national sur les moyens, les buts, et les coĂ»ts de nos politiques fĂ©dĂ©rales de sĂ©curitĂ©. » [46 ].

SpĂ©cialisĂ©s dans l’étude des opĂ©rations clandestines de la CIA et des secrets de la Guerre froide, les chercheurs de l’institut de recherches privĂ© et indĂ©pendant National Security Archive de l’universitĂ© George Washington Ă  Washington ont dĂ©posĂ© une requĂŞte basĂ©e sur le Freedom of Information Act (FOIA) auprès de la CIA, le 15 avril 1991. D’après les termes de cette loi sur la libertĂ© d’information, tous les services du gouvernement doivent justifier devant le peuple de la lĂ©galitĂ© de leurs actions. Malcolm Byrne, vice-directeur de recherche au National Security Archive, demandait Ă  la CIA l’accès Ă  « toutes les archives concernant (. ) les dĂ©cisions du gouvernement Ă©tats-unien, probablement prises entre 1951 et 1955, concernant le financement, le soutien ou la collaboration avec toute armĂ©e secrète, tout rĂ©seau ou toute autre unitĂ©, crĂ©Ă© dans le but de rĂ©sister Ă  une possible invasion de l’Europe de l’Ouest par des puissances sous domination communiste ou de mener des opĂ©rations de guĂ©rilla dans des pays d’Europe occidentale dans l’hypothèse oĂą ceux-ci seraient sous l’emprise de partis ou de rĂ©gimes communistes, de gauche ou soutenus par l’Union soviĂ©tique ». Byrne ajoutait. « Je vous prie d’inclure Ă  vos recherches tout document se rapportant Ă  des activitĂ©s connues sous le nom d’"OpĂ©ration Gladio", en particulier en France, en Allemagne et en Italie » [47 ].

Byrne prĂ©cisait Ă  juste titre que « tous les documents obtenus suite Ă  cette requĂŞte contribueront Ă  faire connaĂ®tre au public la politique Ă©trangère des États-Unis au cours de la pĂ©riode qui suivit la Seconde Guerre mondiale, ainsi que l’impact de la connaissance, de l’analyse et de l’acquisition du renseignement dans la politique Ă©tats-unienne de l’époque ». Mais la CIA refusa de coopĂ©rer et, le 18 juin 1991, elle fournit la rĂ©ponse suivante. « La CIA ne peut ni confirmer ni infirmer l’existence ou l’inexistence d’archives rĂ©pondant aux critères de votre requĂŞte ». Quand Byrne tenta de contester le refus de l’Agence de lui fournir des informations sur Gladio, il fut dĂ©boutĂ©. La Centrale fonda son refus de coopĂ©rer sur deux exceptions "fourre-tout" Ă  la loi sur la libertĂ© d’information qui excluent les documents soit parce qu’ils sont « classĂ©s "confidentiel" conformĂ©ment Ă  une dĂ©cision de l’ExĂ©cutif dans l’intĂ©rĂŞt de la DĂ©fense nationale ou de la politique Ă©trangère » (Exemption B1), soit au nom des « obligations statutaires du directeur de protĂ©ger la confidentialitĂ© des sources et mĂ©thodes de renseignement, telles que l’organisation, les fonctions, noms, titres officiels, revenus et nombre des employĂ©s de l’Agence, conformĂ©ment aux National Security Act de 1947 et CIA Act de 1949 » (Exemption B3).

Quand les responsables europĂ©ens tentèrent de se confronter au gouvernement secret, ils n’eurent guère plus de chance. En mars 1995, une commission du SĂ©nat italien prĂ©sidĂ©e par Giovanni Pellegrino qui avait menĂ© une enquĂŞte sur Gladio et sur les attentats commis en Italie adressa une requĂŞte FOIA Ă  la CIA. Les sĂ©nateurs italiens demandaient l’accès Ă  toutes les archives relatives aux Brigades Rouges et Ă  l’affaire Moro afin de dĂ©couvrir si la CIA avait, dans le cadre du programme d’immixtion dans les affaires politiques internes du pays, infiltrĂ© le groupe terroriste d’extrĂŞme gauche avant qu’ils n’assassinent l’ancien Premier ministre et leader de la DCI Aldo Moro en 1978. Refusant de coopĂ©rer, l’Agence s’abrita derrière les clauses B1 et B3 et refusa, en mai 1995, tous les accès demandĂ©s en ajoutant que ça ne « confirmait ni n’infirmait l’existence ou l’inexistence dans les archives de la CIA des documents recherchĂ©s ». La presse italienne souligna le caractère embarrassant de ce refus et titra. « La CIA rejette la demande d’assistance de la Commission parlementaire. L’enlèvement de Moro, un secret d’État aux USA » [48 ].

La seconde demande de renseignements relatifs Ă  Gladio Ă©manant d’un gouvernement europĂ©en fut adressĂ©e Ă  la CIA par le gouvernement autrichien en janvier 2006, après que des caches d’armes “top secrètes” amĂ©nagĂ©es par l’Agence Ă  l’intention de Gladio aient Ă©tĂ© dĂ©couvertes dans les alpages et les forĂŞts du pays pourtant neutre. Des reprĂ©sentants du gouvernement amĂ©ricain rĂ©pondirent que les États-Unis couvriraient les frais occasionnĂ©s par l’exhumation et la rĂ©cupĂ©ration de l’équipement des rĂ©seaux [49 ]. L’enquĂŞte autrichienne fut menĂ©e par les services du ministre de l’IntĂ©rieur Mickael Sika qui livra son rapport final sur les dĂ©pĂ´ts de munition de la CIA le 28 novembre 1997 en dĂ©clarant. « On ne peut Ă©tablir aucune certitude quant aux caches d’armes et Ă  l’usage auxquelles elles Ă©taient destinĂ©es ». En consĂ©quence de quoi. « Afin de faire toute la lumière sur cette affaire, il serait nĂ©cessaire de disposer des documents s’y rapportant, et notamment ceux abritĂ©s aux États-Unis » [50 ]. Un membre de la Commission, Oliver Rathkolb de l’universitĂ© de Vienne, dĂ©posa donc une requĂŞte en FOIA dans le but d’obtenir l’accès aux archives de la CIA. Mais en 1997, le comitĂ© de divulgation de l’Agence opposa un nouveau refus motivĂ© par les mĂŞmes exemptions B1 et B3 qui laissa aux Autrichiens l’amère impression que l’agence amĂ©ricaine n’était tenue de rendre des comptes auprès de personne.

Étant donnĂ© que c’est lĂ  l’unique moyen d’accĂ©der aux archives relatives Ă  Gladio, nous dĂ©posâmes le 14 dĂ©cembre 2000 une requĂŞte en FOIA auprès de la CIA. Deux semaines plus tard, nous reçûmes une rĂ©ponse Ă©vasive Ă  notre demande « se rapportant Ă  l’"OpĂ©ration Gladio" ». « La CIA ne peut ni confirmer ni infirmer l’existence ou l’inexistence de documents correspondant Ă  votre requĂŞte ». En invoquant les clauses restrictives B1 et B3, la coordinatrice chargĂ©e de l’information et des questions de respect de la vie privĂ©e Kathryn I. Dyer nous refusa l’accès aux informations sur l’OpĂ©ration Gladio [51 ]. Nous fĂ®mes appel de cette dĂ©cision en rĂ©torquant que. « Les documents retenus doivent ĂŞtre publiĂ©s en vertu de la loi FOIA sur la libertĂ© d’expression car les clauses B1 et B3 ne peuvent s’appliquer qu’à des opĂ©rations de la CIA encore tenues secrètes ». En produisant les donnĂ©es recueillies au cours de nos recherches, nous prouvâmes que ce n’était plus le cas et conclĂ»mes. « Si vous, Mme Dyer, invoquez les clauses restrictives B1 et B3 dans ce contexte, vous privez la CIA de la possibilitĂ© de s’exprimer sur des informations relatives Ă  l’affaire Gladio, qui seront de toute façon rĂ©vĂ©lĂ©es, que la CIA dĂ©cide d’intervenir ou non » [52 ].

En fĂ©vrier 2001, l’Agence nous rĂ©pondit. « Votre appel a Ă©tĂ© acceptĂ© et des dispositions seront prises pour qu’il soit examinĂ© par les membres du comitĂ© de divulgation de l’Agence. Vous serez informĂ© de la dĂ©cision rendue. » Dans le mĂŞme temps, la CIA prĂ©cisa que cette commission traitait les demandes en fonctions de leur date de dĂ©pĂ´t et que « en ce moment, nous avons Ă  examiner environ 315 appels » [53 ]. Notre requĂŞte portant sur le rĂ©seau Gladio fut ainsi mise en attente et rangĂ©e en bas de la pile. Au moment de la rĂ©daction de cet ouvrage, la commission n’avait toujours pas rendu son avis [54 ].

Après l’OTAN et la CIA, la troisième principale organisation impliquée dans l’opération stay-behind était le MI6. Celui-ci ne prit pas position sur l’affaire Gladio en 1990 en raison d’une légendaire obsession du secret, l’existence de cette Agence elle-même ne fut officiellement admise qu’en 1994, avec la publication de l’Intelligence Services Act qui établit que l’organisation avait pour missions d’obtenir du renseignement et d’exécuter des opérations secrètes à l’étranger.

Tandis que l’exĂ©cutif britannique et le MI6 se refusaient Ă  tout commentaire, Rupert Allason, membre du parti conservateur, rĂ©dacteur de l’Intelligence Quarterly Magazine sous le pseudonyme de Nigel West et auteur de plusieurs ouvrages sur les services de sĂ©curitĂ© britanniques, confirma, en novembre 1990, au plus fort du scandale Gladio, lors d’un entretien tĂ©lĂ©phonique accordĂ© Ă  Associated Press. « Nous Ă©tions, et sommes toujours, fortement impliquĂ©s (. ) dans ces rĂ©seaux ». West expliqua que la Grande-Bretagne « a bien entendu participĂ©, aux cĂ´tĂ©s des États-uniens, au financement et au commandement » de plusieurs rĂ©seaux et qu’elle Ă©tait Ă©galement engagĂ©e dans le cadre de la collaboration entre le MI6 et la CIA. « Ce sont les agences de renseignement britanniques et Ă©tats-uniennes qui sont Ă  l’origine du projet ». West affirma qu’à partir de 1949, l’action des armĂ©es stay-behind avait Ă©tĂ© coordonnĂ©es par la Structure de Commandement et de ContrĂ´le des Forces SpĂ©ciales de l’OTAN au sein desquelles le Special Air Service (SAS) jouait un rĂ´le stratĂ©gique [55 ].

« La responsabilitĂ© de la Grande-Bretagne dans la mise en place des rĂ©seaux stay-behind dans toute l’Europe est absolument fondamentale », rapporta la BBC avec un certain retard dans son Ă©dition du soir du 4 avril 1991. Le prĂ©sentateur des informations John Simpson accusa le MI6 et le ministère de la DĂ©fense britannique de ne pas divulguer toutes les informations dont ils disposaient sur le sujet « alors que les rĂ©vĂ©lations sur Gladio ont entraĂ®nĂ© la dĂ©couverte d’armĂ©es stay-behind dans d’autres pays europĂ©ens - en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Espagne, en Grèce et en Turquie. MĂŞme dans des pays neutres comme la Suède et la Suisse, cela a donnĂ© lieu Ă  un dĂ©bat public. Dans certains cas, des enquĂŞtes officielles ont Ă©tĂ© diligentĂ©es. En revanche, en Grande-Bretagne, toujours rien. Rien que les habituels communiquĂ©s du ministère de la DĂ©fense qui ne souhaite pas commenter les questions de SĂ©curitĂ© nationale » [56 ]. Simpson dĂ©clara qu’après la chute du Mur de Berlin les Britanniques avaient pris connaissance des complots et des opĂ©rations de terrorisme ourdis par la Stasi, la Securitate et d’autres services secrets d’Europe de l’Est avec une horreur mĂŞlĂ©e de fascination. « Se peut-il alors que notre camp se soit livrĂ© Ă  des actions comparables. Jamais ! » commenta-t-il avec ironie avant d’attirer l’attention sur les services de sĂ©curitĂ© d’Europe occidentale. « Mais des informations commencent Ă  prĂ©sent Ă  filtrer concernant des abus qui auraient Ă©tĂ© commis par la plupart des services secrets des membres de l’OTAN. En Italie, une commission parlementaire a Ă©tĂ© chargĂ©e d’enquĂŞter sur les agissements d’une armĂ©e secrète crĂ©Ă©e par l’État dans le but de rĂ©sister Ă  une Ă©ventuelle invasion soviĂ©tique. L’enquĂŞte a permis de dĂ©couvrir l’existence de forces armĂ©es clandestines similaires dans toute l’Europe. Mais le groupe italien, connu sous le nom de Gladio, est, lui, soupçonnĂ© d’avoir participĂ© Ă  une sĂ©rie d’attentats terroristes » [57 ].

La BBC ne put obtenir aucune rĂ©action des responsables du gouvernement sur le scandale Gladio, la confirmation officielle de l’implication du MI6 ne vint que des annĂ©es plus tard et dans un cadre plutĂ´t inhabituel. un musĂ©e. En juillet 1995, une nouvelle exposition permanente baptisĂ©e « Les guerres secrètes » fut inaugurĂ©e Ă  l’Imperial War Museum de Londres. « Tout ce que vous pouvez voir dans cette exposition fait partie des secrets les mieux gardĂ©s du pays », assurait-on aux visiteurs Ă  l’entrĂ©e. « C’est la première fois qu’ils sont dĂ©voilĂ©s au public. Et le plus important. tout est vĂ©ridique. la rĂ©alitĂ© est bien plus incroyable et passionnante que la fiction. » Sur l’une des vitrines consacrĂ©es au MI6, un commentaire discret confirmait que. « Les prĂ©paratifs en vue d’une Troisième Guerre mondiale incluaient la crĂ©ation de commandos stay-behind parĂ©s Ă  opĂ©rer derrière les lignes ennemies dans le cas d’une invasion soviĂ©tique de l’Europe de l’Ouest ». Dans la mĂŞme vitrine, une grosse caisse pleine d’explosifs Ă©tait accompagnĂ©e de la lĂ©gende suivante. « Explosifs conçus spĂ©cialement par le MI6 pour ĂŞtre cachĂ©s dans des territoires susceptibles de passer Ă  l’ennemi. Ils pouvaient rester enterrĂ©s pendant des annĂ©es sans subir la moindre altĂ©ration. » Ă€ cĂ´tĂ© d’un manuel consacrĂ© aux techniques de sabotage pour commandos stay-behind. on pouvait lire. « Dans la zone d’occupation britannique en Autriche, des officiers de la Marine Royale furent spĂ©cialement dĂ©tachĂ©s pour amĂ©nager des caches d’armes en montagne et collaborer avec des agents recrutĂ©s sur place » [58 ]

D’anciens officiers du MI6 interprĂ©tèrent Ă  juste titre cette exposition comme un signe qu’ils Ă©taient Ă  prĂ©sent libres de s’exprimer sur l’OpĂ©ration Gladio. Quelques mois après l’inauguration, les anciens officiers de la Marine Royale Giles et Preston, les seuls agents du MI6 dont les noms Ă©taient citĂ©s dans l’exposition Ă  cĂ´tĂ© d’une photographie prise « dans les Alpes autrichiennes, 1953-1954 », confirmèrent Ă  l’écrivain Michael Smith qu’à la fin des annĂ©es quarante et au dĂ©but des annĂ©es cinquante, États-uniens et Britanniques avaient recrutĂ© des unitĂ©s stay-behind en Europe de l’Ouest en prĂ©vision d’une invasion soviĂ©tique. Giles et Preston furent envoyĂ©s Ă  Fort Monckton, non loin de Portsmouth en Angleterre, oĂą les Gladiateurs partageaient l’entraĂ®nement des SAS sous l’égide du MI6. Ils Ă©taient formĂ©s au cryptage, au maniement des armes Ă  feu et aux opĂ©rations secrètes. « On nous faisait faire des exercices, sortir au beau milieu de la nuit et faire semblant de faire exploser des trains sans que le chef de gare ou les porteurs ne nous repèrent », se souvint Preston. « On approchait en rampant et on faisait semblant de fixer des charges explosives sur le cĂ´tĂ© droit de la locomotive » [59 ]

Giles se remĂ©mora avoir pris part Ă  des opĂ©rations de sabotage sur des trains britanniques en service comme, par exemple, l’exercice qui eut lieu Ă  la gare de triage d’Eastleigh. « Nous dĂ©posions des briques dans les locomotives pour simuler des pains de plastic. Je me rappelle les files et les files de wagons, entièrement recouverts d’une Ă©paisse couche de neige, arrĂŞtĂ©s lĂ  au milieu des nuages de vapeur. Des soldats patrouillaient avec des chiens. Ă€ un moment donnĂ©, les gardes se sont approchĂ©s, j’ai alors dĂ» me cacher entre les cylindres des locomotives et attendre qu’ils passent. Nous Ă´tions aussi le bouchon des rĂ©servoirs d’huile des essieux pour y verser du sable, ce qui avait pour consĂ©quence, au bout de quelques dizaines de kilomètres, de les faire tous surchauffer » [60 ]. Le fait qu’il s’agisse de trains publics en service ne semblait pas gĂŞner les deux agents. « Ce n’était pas mon problème », expliqua Giles, « nous ne faisions que jouer ». « J’ai dĂ» arpenter Greenwich pendant 10 jours pour apprendre Ă  filer des gens et Ă  semer ceux qui me filaient, la rĂ©alitĂ© concrète du boulot d’espion », raconta Preston. Puis, ils furent envoyĂ©s en Autriche avec pour mission de recruter et de former des agents et supervisèrent le rĂ©seau de « bunkers souterrains remplis d’armes de vĂŞtements et de matĂ©riel » mis en place par « le MI6 et la CIA » Ă  destination du Gladio autrichien [61 ] En visitant le quartier gĂ©nĂ©ral du MI6 sur les bords de la Tamise Ă  Londres en 1999, il ne fut pas surpris outre mesure d’apprendre que le MI6 a pour règle de ne jamais Ă©voquer les secrets militaires.